Les raisons épistémologiques d’une Europe des Nations

Que le lecteur ne s’y trompe pas, la construction européenne n’est pas le fruit d’une profonde réflexion philosophique ou épistémologique.

Si l’on considère la pensée de Jean Monnet, banquier international, l’un des pères « fondateurs » de l’Europe, on constate qu’elle n’est pas l’aboutissement d’efforts intellectuels intenses ayant débouché sur une pensée puissante.

Non, elle est plutôt le résultat d’une conviction sans ancrage philosophique et encore moins épistémologique, le résultat d’une émotion, d’un affect, d’un amour à l’égard des Etats Unis, d’une obsession d’un banquier pour le libre échange et d’une allégeance sans faille à l’égard d’un gouvernement américain résolu à dissoudre les nations européennes.

Ce que nous tenterons dans cet article, c’est une approche philosophique, épistémologique à travers d’une part, l’étude d’un texte de John Stuart Mill, philosophe, logicien et économiste anglais né le 20 mai 1806 à Londres et mort le 8 mai 1873 à Avignon, et d’autre part, notre propre réflexion.

Voici ce que dit John Stuart Mill :

« Qu’est ce qui a permis à la famille des nations européennes d’être une partie de l’humanité en progression plutôt qu’en stagnation ?

Non pas une excellence supérieure qui, quand elle existe, n’existe qu’à titre d’effet plutôt que de cause, mais plutôt la remarquable diversité de leurs styles et de leurs cultures.

Les personnes, les classes, les nations ont été entièrement différentes les uns des autres : Elles ont empruntés une grande variété de voies, chacune menant à quelque chose d’intéressant; et bien qu’à chaque époque ceux qui avaient choisi différents chemins ont été intolérants les uns vis-à-vis des autres, et bien que chacun ait pu penser qu’il eut été excellent que tout le reste ait été obligé de suivre la même voie, leurs tentatives de contrarier le développement de chacun des autres ont rarement réussi de façon permanente, et chacun, quant il le fallait, a accepté le bien que les autres ont offert.

L’Europe, selon moi, doit tout à cette pluralité de voies quant à son développement progressif et polyvalent. »

Aujourd’hui, l’entité européenne ne veut pas cette pluralité de voies. Elle est farouchement opposée à cette pluralité sociétale.

Au contraire, ceux qui prétendent la diriger et notamment la Commission Européenne, s’efforcent d’imposer un système de valeurs et un modèle sociétal unique et d’interdire à chacune des nations qu’elle entend progressivement dissoudre, d’exercer un pouvoir souverain en matière sociétale et de choisir sa propre voie.

L’entité européenne ne lâche rien, déterminée qu’elle est à imposer coûte que coûte sa propre voie déshumanisée et sa « raison mondialisée » chère à Oscar Milosz.

Pluralité de conceptions nous dit le Philosophe-logicien qui réfléchit.

Paul Feyerabend résume ainsi la nécessité d’une pluralité de conceptions dans les sciences défendue par John Stuart Mill, lequel considère quatre raisons principales :

1°) Une conception qu’il peut être légitime de rejeter peut quand même être vraie et « le nier serait croire à notre infaillibilité »

2°) Une conception « problématique » peut « contenir, et très souvent contient une part de vérité »; et puisque l’opinion générale et dominante sur quelque sujet que ce soit n’est rarement, « ou jamais, la vérité toute entière, c’est seulement grâce au choc avec des opinions contraires que ce qui reste de vérité peut avoir quelque chance de s’offrir. »

3°) Un conception entièrement vraie mais non contestée « sera défendue comme s’il s’agissait d’un préjugé, avec une faible compréhension ou sentiment de ses fondements rationnels ».

4°) Y souscrire deviendra « qu’une simple profession de foi formelle », à moins que par contraste avec d’autres opinions, son sens ne puisse se révéler. »

Paul Feyerabend énonce enfin une 5ème raison plus technique :

« Les preuves que l’on peut avancer contre une opinion ne peuvent souvent être énoncées ou découvertes que grâce à une opinion différente. »

« Interdire l’usage d’alternatives jusqu’à ce que des faits contraires puissent apparaître, tout en demandant aux théories de se confronter aux faits, revient donc à vouloir mettre la charrue avant les bœufs ».

Ainsi, chaque nation devrait pouvoir suivre sa propre voie, ses propres choix sociétaux, et non, se les voir imposer par un couche artificielle d’autorité clamant sa supériorité et imposant un certain usage de la raison.

La pensée de Stuart Mill n’est pas sans rappeler la parabole du bon grain et de l’ivraie :

« Les serviteurs du maître vinrent lui dire : “Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?”

Il leur dit : “C’est un ennemi qui a fait cela.” Les serviteurs lui disent : “Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?”

Il répond : “Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps.

Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.” »

Laissez donc les nations suivent leurs propres chemins.

Quant à Ernest Renan, voici ce qu’il dit :

« l’existence des nations est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n’avait qu’une seule loi et un seul maître »

[…]

« par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l’œuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l’humanité. »

Enfin, pour terminer ce tour philosophique, référons nous au mythe de la tour de Babel (Genèse 11,1-9) qui selon moi signifie ceci :

  • La dispersion des peuples à travers la terre et la multiplication concomitante des langues et des cultures, permit à chaque peuple de développer sa propre pensée.
  • C’est ainsi que chaque peuple grava sa vision du monde dans sa langue et dans sa culture. Et à mesure que les langues et les cultures se multiplièrent, des fils de plus en plus nombreux se tissèrent entre la pensée et le réel. Ainsi, pendant des millénaires, l’Homme multiplia les chemins reliant sa pensée au réel.
  • La multiplication des langues fut un passage obligé, car plus l’être inventait des mots, plus la pensée humaine recouvrait le réel. Ainsi, chaque civilisation, en choisissant un mot pour nommer une idée, un morceau de réalité, découpa le réel et l’imaginaire suivant les patrons les plus variés. Et lorsque les grammaires apparurent, elles furent la résultante d’un choix qui, à son tour, modela la perception du réel.
  • Ainsi la séparation des peuples et la multiplication des langues et des cultures donnèrent lieu à accroissement prodigieux de l’information contenue dans l’univers.

Selon nous, les frontières, les différences de choix sociétés au sein de l’Europe sont encore nécessaires pour éviter que les langues et les cultures ne se mélangent.

A ce stade d’avancement de l’humanité, la fusion des langues, des cultures, des modèles sociétaux, des systèmes de valeurs, ne pourraient se réaliser sans une immense perte d’information et une affaiblissement cognitif global.

En tout état de cause, d’un point de vue épistémologique, le rapt du domaine sociétale par l’entité européenne constitue une véritable entrave au perfectionnement de l’esprit humain qui nécessite une pluralité de nations, de modèles sociétaux et de chemins civilisationnels.

C’est pourquoi, chaque nation doit pouvoir continuer à choisir son propre chemin, la manière dont elle découpe le réel, ses buts, ainsi que le modèle de société propre à lui permettre d’atteindre ses buts.

En pratique et par nécessité, les choix sociétaux appartiennent à la nation et non à des confédérations qui viendraient s’y superposer de manière artificielle.

C’est pourquoi, l’impérialisme sociétal anglo-saxon qui s’exerce notamment par le truchement, des organes de l’entité européenne, et en particulier par l’action de la commission européenne, doit faire l’objet d’une véritable contre-offensive.

Aujourd’hui, le principe de subsidiarité est réduit à une portion congrue, et ce, du fait de l’activisme de la commission européenne et d’Ursula Von Der Leyen.

En conclusion, loin de l’angle purement politique, il nous parait fondé d’affirmer que pour des raisons philosophiques, épistémologiques, et compte tenu de l’idéal de perfectionnement de l’esprit humain (à ne pas confondre avec le but d’amélioration de la condition humaine) que nos politiques ont purement et simplement abandonné, chaque nation doit pouvoir choisir sa voie et en particulier sa voie sociétale.

Publicité

Une réflexion sur “Les raisons épistémologiques d’une Europe des Nations

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s