L’organisation actuelle du marché européen de l’électricité et ses conséquences, accréditent l’idée qui était défendue par le philosophe des sciences Paul Feyerabend, selon laquelle, l’être humain peut choisir entre deux types de postures, l’attitude dogmatique, d’une part, et l’attitude critique d’autre part.
Dans ce court article justement, nous exposerons brièvement les concepts essentiels, les grands principes et les chiffres clés relatifs à la production et au « commerce de gros » de l’électricité et démontrerons que c’est bien l’attachement à un dogme et par conséquent à un mode de pensée dogmatique, qui est à l’origine des difficultés que nous connaissons, dont les principales causes sont sans rapport avec le conflit ukrainien.
Rappelons tout d’abord, que le monopole d’EDF a pris fin le 1er juillet 2007, et ce, dans le seul but de satisfaire le principe de la libre concurrence, principe que l’on peut assimiler à un dogme.
Aujourd’hui, il existe deux types de fournisseurs d’électricité, les « entreprises intégrées », c’est-à-dire les fournisseurs producteurs d’électricité, donc disposant d’unités de production, lesquels vendent directement leurs productions aux consommateurs finaux, tout en étant parfois contraints de s’approvisionner sur les marchés de gros.
Et puis, il y a les autres, ceux qui vendent après s’être « fournis » sur les marchés de gros.
Loïk Le Floch Prigent, l’ancien Président d’Elf Aquitaine et de Gaz de France, définit cette seconde catégorie d’une manière peu courtoise mais parfaitement juste :
« Des parasites qui sont des fournisseurs qui ne font ni produire, ni transporter, ni distribuer. Ils ne font rien. La seule chose qu’ils font: ils spéculent. On a créé une race de spéculateurs. »
Il rappelle qu’il en existe 40 ou 45 en France, une trentaine en Grande Bretagne et une cinquantaine en Allemagne.
Afin que chacun puisse se faire une idée des volumes d’énergie en jeu, il convient de préciser les chiffres disponibles sur le site de RTE (Réseau de Transport d’Electricité).
La production annuelle d’électricité en 2021 était de l’ordre de 523 TWh pour une consommation de 468 TWh, étant précisé qu’un Térawatt heure est égal à 1000 Gigawatt heure.
La production d’énergie en 2021 était répartie de la manière suivante :

Les français qui vivent en copropriété peuvent se faire une idée de l’échelle de valeur en comparant ce chiffre à la consommation en Gigawatt équivalent Gaz.
Par exemple une copropriété de 180 appartements qui dispose d’un système de chauffage collectif et de production d’eau chaude sanitaire collective, aura une consommation annuelle de l’ordre de 1,2 GWh.
Afin que le lecteur puisse avoir l’esprit clair, il convient de lui rappeler la différence entre la puissance instantanée, c’est-à-dire le Pic de puissance, qui peut être exprimée en Térawatt et cette puissance multipliée par le temps qui devient une énergie s’exprimant en Térawatt heure au niveau national.
La puissance installée correspond au maximum de puissance instantanée susceptible d’être produite.
En 2021, la puissance installée était de l’ordre de 140 Gigawatts. La pointe hivernale de consommation en 2021 s’est élevée à 88,4 Gigawatts le 11 janvier 2021.
En 2021, la pointe de production s’était élevée à 139,10 Gigawatts, c’est-à-dire tout juste au-dessous de la puissance installée.
Les interconnexions
Les interconnexions sont rendues possibles grâce à des infrastructures qui permettent des échanges d’électricité entre la France et les pays limitrophes.
La puissance instantanée susceptible de passer par les câbles est limitée.
En 2021, la France a exporté 87,1 TWh soit 16,6 % du total de sa production électrique. La quantité d’énergie importée quant à elle s’est élevée à 44 TWh, soit 9,4 % de sa consommation. (Voir détail ci-dessous).

Le dispositif « ARENH » (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique)
Ce dispositif a été instauré par la loi NOME qui visait à réglementer la nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Afin de permettre le jeu de la libre concurrence, censé profiter au consommateur final, les fournisseurs non producteurs, simple intermédiaires et acteurs de marché, se sont vus offrir la possibilité de racheter à EDF une partie de sa production nucléaire au tarif dit « ARENH » fixé à 42 €/MWh depuis le 1er janvier 2012.
Le code de l’énergie prévoit que la demande totale des fournisseurs « parasites » ne peut excéder 100 TWh, soit 27 % de la capacité de la puissance nucléaire installée en 2021.
Ainsi même pendant les périodes de pointe, EDF est dans l’obligation de vendre à ces fournisseurs non intégrés, simples intermédiaires ne disposant d’aucun moyen de production, de l’énergie nucléaire jusqu’à hauteur de 27 % de sa capacité.
Dans le même temps, en période de pointe, EDF est susceptible de devoir acheter de l’électricité sur le marché de gros, dont le prix journalier moyen était de 109,2 €/Mwh en 2021 contre 32,2 € en 2020.
En 2022, ce prix journalier a parfois dépassé les 500 €/MWh.
Par ailleurs, le fait que l’Eolien et le solaire, soit 10 % de la puissance installée, soient une énergie non pilotable et intermittente, augmente la volatilité des prix de l’électricité, et renchérit de manière artificielle les prix de gros.
Comment une situation aussi ubuesque est-elle possible ?
Ici, nous abordons l’aspect philosophique de notre exposé. L’absurdité de cette situation relève purement et simplement d’un dogme et de l’engagement aveugle à l’endroit de la théorie des bienfaits de la libre concurrence.
Cette attitude dogmatique, a eu pour conséquence de générer des mécanismes et une organisation de marché visant à permettre à des fournisseurs qui ne produisent rien et n’exploitent aucunes infrastructures, de s’insérer entre le producteur d’électricité et le consommateur final.
C’est à cette fin, que le marché européenne de l’électricité a été crée, avec comme argument de façade une baisse de prix pour les consommateurs, ce marché permettant ainsi à ces fournisseurs parasites d’acheter et de revendre sur les marchés de gros.
Conséquemment, le coût de l’énergie facturé aux ménages et aux entreprises françaises se trouvent artificiellement déconnecté des prix de revient réels, constitués par l’addition des coûts fixes et des coûts variables.
Afin que chacun puisse comprendre la différence entre les coûts fixes et les coûts variables, prenons l’exemple d’une centrale nucléaire.
En simplifiant, les coûts fixes représentent les amortissements des investissements augmentés des coûts d’exploitation intégrant idéalement un programme de maintenance sur la durée de vie théorique de l’installation.
Les coûts variables, contrairement aux coûts fixes, sont fonction des quantités d’énergie appelées et donc produites.
Il s’agira par exemple du combustible, par exemple l’uranium, mais également de l’électricité nécessaire pour faire tourner la centrale.
A titre d’exemple, pour calculer l’élément variable dans le cadre de l’exploitation de l’énergie géothermale de type Dogger, on considérera qu’il faut 0,23 MWh d’électricité pour produire 1 MWh d’énergie primaire véhiculée par l’eau réchauffée par l’échangeur et par la PAC.
Les 0,23 MWh représentent principalement, l’électricité nécessaire pour faire tourner les pompes qui permettent d’extraire l’eau géothermale et les pompes à chaleur.
Le coût variable constitue donc en principe la seule variable d’ajustement du prix de revient d’un MWh.
Aujourd’hui, du fait de l’organisation du marché européen de l’électricité, la variation des prix de gros sont décorrélés de la variation des coûts variables.
Le Marché Européen de l’électricité
Le marché européen de l’électricité est selon l’auteur de cet article un non-sens résultant d’un encerclement cognitif ayant produit une croyance aveugle dans les bienfaits de la libre concurrence dans ce domaine.
Dans cet type d’organisation le prix du marché est fonction du coût marginal de l’électricité. A titre d’exemple si EDF doit se fournir en électricité à l’occasion d’une pointe de consommation, elle achètera l’électricité en fonction du cours résultant de l’électricité qui sera injectée dans le marché par la dernière centrale disponible qui peut être une centrale à charbon proposant un prix à la vente particulièrement élevé.
Selon les termes RTE, « le prix de marché journalier de l’électricité reflète le coût marginal des moyens de production utilisés pour couvrir la consommation à chaque heure de l’année, moyens de production qui peuvent se situer en France ou dans les pays voisins. Ce coût marginal est directement dépendant des coûts variables des centrales et notamment du prix des combustibles pour les groupes thermiques. »
En réalité pour comprendre l’absurdité du concept de marché européen de l’électricité, il faut comprendre qu’abstraction faite de l’interconnexion, les installations de production d’électricité ne sont pas délocalisables et ne sont donc pas délocalisés.
Nous n’importerons jamais de l’électricité provenant d’une centrale nucléaire ou d’éoliennes situés en Russie ou en Ukraine.
Par contraste, la production de gaz quant à elle est souvent délocalisée. Aussi, un marché européen du gaz n’est pas un concept stupide.
Que faut-il faire ?
En conclusion, nous pensons que l’organisation d’un marché européen de l’électricité n’a pas de sens, puisque la production d’électricité n’est pas délocalisable.
Par ailleurs, que chaque état en fonction de ses ressources, de ses choix, organise, planifie, la maintenance ou l’installation de nouveaux moyens de production, est parfaitement légitime et surtout rationnel.
Ici encore, la commission européenne et le droit européen ont violé le principe de subsidiarité, lequel a été monté à l’envers. Le principe de la compétence générale des Etats a tout simplement été subrepticement vidé de son sens.
Le ou les marchés européens de l’électricité ne devraient avoir pour seul objet la régulation et la fixation des prix des flux résultant des interconnexions entre Etats limitrophes, lesquelles devraient être utilisées pour des raisons de solidarité entre nations, et non, pour permettre l’établissement d’un marché européen de l’électricité.
En conclusion, il convient de supprimer purement et simplement le marché européen de l’électricité, de permettre à chaque pays de choisir le cadre juridique de sa production nationale d’électricité, de choisir entre le régime monopolistique ou la libre concurrence, et de ne se servir de la technique des marchés uniquement pour les flux résultant de l’interconnexion, ce marché limité ne devant en cas aucun servir pour procéder à des ventes et des achats spéculatifs, mais pour simplement pour assurer le respect du principe de solidarité entre Etats limitrophes.
Au final, la concurrence ne devrait être possible qu’entre fournisseurs intégrés disposant de leurs propres installations de production d’électricité sur le territoire français.
Ainsi le fournisseur intégré serait directement en lien avec le consommateur final.